TOMBER DANS LES ARBRES


conception


CAMILLE PLOCKI





© Ilias El Faris

Vu au Théâtre des Déchargeurs  - 8 décembre 2022


                                    

“Enchanter la forêt“



Dans ce seule en scène (ou presque!) Camille Plocki part de ses racines intimes pour interroger l’héritage familial, musical et politique légué par son grand-père défunt. Avec générosité, elle montre sa belle voix, ouvre large le champ de la mémoire, nous fait tomber dans les arbres de son passé.

Il y a toujours une drôle d’ambiance aux enterrements…

Ça commence. Camille Plocki parle-chante sur son tabouret, le sourire jusqu’au bord des yeux : La Bohème, petite salle souterraine du théâtre Les Déchargeurs, colle parfaitement à l’ambiance de la scène, puisqu’à l’enterrement - celui du grand-père - convient cette cave en pierre intimiste, comme un caveau funéraire. Pourtant, rien de morbide là-dedans.

D'où vient alors toute cette lumière, la chaleur qui se dégage? De l’air rieur de Maurice, le pépé de Camille, dont le portrait photographique couronné de fleurs trône au centre de la scène? Des gobelets de champagne distribués qui brûlent un peu la gorge, et échauffent suffisamment les cœurs pour pousser ensemble la chansonnette, enfin, si on peut qualifier de “chansonnette” l’Internationale?

Surtout, de la présence irradiante de la comédienne, qui rencontre sans gêne les yeux de son public, le cueille par la douceur de son chant et lui fait une place dans les fragments intimes recomposés de sa mémoire familiale.




Le jeu d’abŷme est plus ludique qu’il n’y paraît: c’est dans les chants yiddish et l’irruption de parents réels ou symboliques que la mémoire s’interroge et se (dé)joue. Une pédale loop prolonge l’écho arborescent de la dramaturgie, qui procède par ramifications et soubresauts. Riwka, l’arrière grand-mère de Camille, arrêtée et déportée durant la rafle du Vel d’Hiv en 1942, côtoie Léon Trotski, qui lance un casting pour sa nouvelle pièce révolutionnaire. La mémoire intime et douloureuse de l’Histoire a toujours accompagné le militantisme politique du journaliste et écrivain qu’était Maurice Plocki, lui qui a justement choisi pour nom de plume celui de sa mère, Rajsfus. A la scène, l’actrice et metteuse en scène est parfois assistée de Léon Bahon, qui l’accompagne à la guitare et dans le jeu. Il campe avec humour le rôle de l’assistant trotskiste, s’insère délicatement dans le feuillage de la reconstruction poétisée de l’image.

Une galerie immatérielle de portraits se dessine, elle dialogue en miroir avec les photographies démultipliées du grand-père aimantées aux murs. La sous-couche explicative est à quelques endroits un peu trop épaisse, les changements de costumes, la composition du jeu et les transitions chantées étant assez éloquents à eux seuls pour rendre intelligible cette résurgence mémorielle, qui est d’ailleurs souvent pure invention. Les plus beaux moments surgissent quand l’écart fantasque avec le passé s’opère, quand les images recomposées ne coïncident délibérément pas avec le cadre de la photo : Riwka s’exprime avec un fort accent polonais qu’elle n’a probablement jamais eu, mais tel que Camille Plocki se l’est imaginé à force de contempler les clichés en noir et blanc. C’est quand elle se prend à rêver avec humour autour de ces instantanés de la mémoire que le dialogue avec le passé s’avère le plus florissant. C’est par le chant que l'interprète cherche à rencontrer les yeux à jamais fermés du grand-père, l’héritage d’un passé familial douloureux, celui d’un militantisme politique de gauche aussi. Ce sont surtout ses rêveries éveillées à elle qui ravivent leur éclat.

Emma Delon, 9 janvier 2023.




Distribution

Texte, jeu Camille Plocki

Collaboration artistique Mohamed Bouadla et Léo Bahon

Scénographie, création lumière Alice Girardet





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