LE GRAND ŒUVRE DE RENÉ OBSCUR


texte et mise en scène


BERTRAND DE ROFFIGNAC





©  Christophe Raynaud de Lage

Vu au Cirque Électrique - 12 septembre 2023

                                    

“Film de cul(te)“



Deuxième volet d’une trilogie débutée en début d’année 2023 avec Les Sept Colis sans Destination de Nestor Crévelong, Bertrand de Roffignac poursuit, avec un patronyme de la même facture, René Obscur, une recherche esthétique qui, tout en s’inspirant du cinéma horrifique, s’emploie à louer la puissance baroque du théâtre.

Au premier abord ce Grand Œuvre de René Obscur, par son esthétique aussi bien que son sujet, semble pétri de cinéma : Bertrand de Roffignac, empruntant peut-être à un homonyme, Bertrand Mandico, un savoir-faire où jamais le mystique ne cherche à masquer la farce, déploie tout aussi goulument que le réalisateur un bestiaire de blagues et objets de cul(te) qui, à défaut d’être provocants depuis bien longtemps, sont devenus de joyeux mécanismes de divertissement : les métaphores sont tellement graveleuses qu’on s’en amuse volontiers — après tout, René Obscur vit pour le porno… Mais par-delà l’apparat gaguesque de René Obscur, où la logorrhée concurrence à peine le tourbillon de lumières, chorégraphies et musiques live, il faut rappeler à notre mémoire Scanners, et encore plus Videodrome, c’est-à-dire l’héritage hautement cronenbergien du spectacle qui, outre les éléments horrifiques (les masques de chair, quelques suffocations et projections de sang), informe ici aussi le réalisateur et le spectateur sur la nature éviscérante des images — qu’il s’agisse du filmage lui-même (la caméra abîme voire tue les acteurs) ou de ce qu’elles deviennent (les œuvres du réalisateur sont récupérées et évidées par les rouages capitalistes). Emmitouflé dans un romantisme à dessein rebattu (mais qu’on aura parfois du mal, tout de même, à créditer), René Obscur, à l’instar de Max Renn dans Videodrome, joue à la fois le rôle de celui ayant décidé, depuis trop longtemps, de croire aux images qui pourtant le trompent, quitte à mentir aux autres et à lui-même, et de celui qui logiquement s’y abandonne, si bien qu’elles le réduisent inévitablement en cendres ; bref pour l’un comme l’autre homme, le désir est traditionnellement moteur de vie et de mort.

Héros et antihéros en même temps donc, certes exécrable avec son amant et financeur Ange Cratère comme avec tous ceux qui osent l’assister dans son aventure, René Obscur a néanmoins ceci de moins inquiétant qu’un personnage de Cronenberg au sens où il est, comme son nom l’indique, le doppelgänger du metteur en scène qui, lui, croit dur comme fer à d’autres images, moins industrielles et mainstream — de sorte que le spectacle, qui va bon train pour critiquer l’industrie culturelle, même s’il se fend, par politesse presque, de quelques incartades sur le public de théâtre, prend un plaisir communicatif à fabriquer des objets artisanaux (la caméra elle-même, en carton-pâte, les accessoires pornos) et des scènes de tréteaux, qui fonctionnent aussi parce qu’elles louent les corps, les fluides et la chair (pour preuve la physicalité des nombreux circassiens et danseurs dans le projet), sans commune mesure avec le mécanisme de mortification qu’est la caméra : face à elle, le théâtre est trop obsolète pour ne pas lui échapper, il est la vie qui se faufile, le point aveugle de la récupération. Quand ces scènes surgissent (à l’image de l’urne bourrée par le peuple, hilarante) et éclipsent presque tout le reste, les ravages du cinéma en tête, le spectacle est le meilleur : c’est peut-être la difficulté car, chaque fois que la narration (les scènes des pompiers) et le dialogue (les scènes avec le grand méchant notamment, probablement les moins profondes) reprennent le dessus, l’intérêt s’amenuise, le théâtre patine car le spectacle discourt. En fin de compte, ce que raconte René Obscur de la récupération de l’art, même sous la forme de logorrhées romantiques et clairs-obscurs, aussi parce que le médium qu’il interroge l’a suffisamment bien montré par lui-même, reste moins pertinent que la magnifique réponse théâtrale qu’il apporte face à la mortification capitaliste — sorte de croyance, elle, beaucoup plus baroque et efficace, dans les forces de vie du live



Victor Inisan, 22 septembre 2023.
    

Distribution 

Conception, texte et mise en scène : Bertrand de Roffignac

Interprètes : Adriana Breviglieri, Axel Chella, Bertrand de Roffignac, Gall Gaspard, Marion Gautier, Xavier Guelfi, Loup Marcaut-Derouard, Francois Michonneau, Pierre Pleven, Erwan Tarlet, Baptiste Thiébaut

Scénographie : Henri-Maria Leutner

Assistanat scénographie : Benjamin Marre

Création et Régie Lumière : Grégoire de Lafond / Thomas Cany

Création Sonore : Axel Chemla Romeu-Santos

Création masques et accessoires : David Ferré








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