☺RENCONTRE AVEC
AURÉLIEN RONDEAU

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Depuis 2018, Aurélien Rondeau co-dirige avec Charles Petit et Quentin Paulhiac le Théâtre du Train Bleu à Avignon. Nous le rencontrons pour évoquer avec lui la programmation 2025, le nouveau dispositif d’accompagnement que le théâtre met en place hors du festival, et la manière dont l’éthique d’aide à la jeune création peut s’accorder avec le financement privé du théatre.
“Nous n’étions pas quarantenaires à l’époque !“
Pierre Lesquelen — Vous proposerez cet été votre septième programmation. Comment vos choix se sont-ils affinés d’année en année ?
Aurélien Rondeau — Nous, les trois associés du Théâtre du Train Bleu (Charles Petit, Quentin Paulhiac et moi), avions surtout au départ un désir pour Avignon. Car notre premier domaine n’était pas le management ou la direction de lieu, mais bien l’artistique. Nous étions animés par le désir du plateau, par les textes et par les rencontres des metteur·se·s en scène. Nous trouvions toutefois qu’il y avait au festival de nombreux manques, et nous protestions souvent contre les directeurs de lieux qui nous accueillaient. Aussi avons-nous eu l’envie de faire les choses par nous-mêmes et de créer un lieu au plus proche des compagnies, qui répondrait le plus possible à leurs besoins et qui préserverait leurs désirs. Être un tremplin, participer réellement au développement des artistes : voilà la première volonté. Nos choix de programmations, au départ un peu verts, se sont affutés d’année en année mais une ligne a toujours persisté : celle de proposer de véritables expériences, aussi sensorielles qu’intellectuelles, et s’abstraire, dans le paysage du OFF, du pur divertissement (même si on rit beaucoup à certains des spectacles que nous proposons !).
P. L. Qu’est-ce qui distinguera la programmation de cet été ?
A. R. — L’élément le plus distinctif de la programmation de cette année est de proposer du spectacle vivant partout, avec différentes modalités de rapport aux spectateur·rice·s. Il y aura bien les deux salles du Train Bleu, mais aussi d’autres espaces et notamment du plan plein air. Nous souhaitons que les lieux de diffusion soient proches du désir des créateur·rice·s et de la nécessité profonde des gestes. La salle de la MAIF notamment a un vrai sens : celui de montrer des spectacles qui ne doivent pas jouer dans des boîtes noires mais qui exigent de vraies contraintes techniques et répondent à l’enjeu d’un théâtre de décentralisation. Il y a aussi le jardin du Carmel, où l’on montrera du cirque et de la performance et où le rapport au “naturel“ et à la ville est très présent. Enfin, nous travaillons cette année avec l’université, dans le gymnase et dans la salle d’escalade. Ce sont des espaces que l’on équipe de façon ad hoc, pour chaque forme spécifique: on y pose simplement un gradin – parce que le spectacle 24 secondes est un entrainement fictionnalisé d’une équipe de baskets – ou une scénographie très particulière exigée par la forme proposée, selon le souhait d’Olivier Letellier pour Mauvaise Pichenette.
P. L. Il semble que le Train Bleu soit un lieu très attaché, depuis le départ, à la jeune création et que cela se soit affirmé.
A. R. — Nous n’étions pas encore quarantenaires à l’origine ! Nous étions à l’époque de jeunes artistes et il nous a fallu évoluer en maintenant cette attention à la jeune création. Mais ce lien nous est finalement très naturel, tant les spectacles de cette génération répondent souvent aux trois critères qui sont pour nous déterminants : l’alliage d’un rapport au public très pensé, d’un propos fort et d’une forme marquante ; en plus d’être très reliés au monde. Nous fréquentons alors, Charles Petit et moi, de nombreux lieux dédiés comme La Flèche à Paris – qui présente des spectacles avec peu de moyens mais de vrais propos – ou le TU de Nantes, et sommes aussi très présents dans des événements comme le WET à Tours ou Supernova à Toulouse.
P. L. Comment concilie-t-on le désir sincère d’aider des jeunes artistes avec l’économie inévitable d’une programmation dans un lieu du OFF qui s’impose à eux·elles ?
A. R. — Nous faisons simplement des propositions de programmation aux compagnies. Mais c’est vrai qu’il faut résoudre un problème de taille : comment aider la jeune création tout en proposant un accompagnement qui est extrêmement onéreux. Nous fournissons une prestation de service de qualité, à la fois sur la communication, la technique, les relations presse, l’identification par les professionnel·le·s ; il s’agit pour nous de proposer un lieu qui est au maximum de ce qu’il peut être. Pour palier aux difficultés financières des compagnies, nous avons notamment mis en place un système d’alternance ; les spectacles jouent alors dix fois au lieu de dix-huit et cela allège considérablement le montant de location. Quand on aime énormément un projet mais que l’on perçoit que les modalités économiques du Train Bleu posent problème, nous essayons de passer des coups fils, demandons des queues de comète de coproduction, afin que le spectacle puisse avoir lieu. Parfois, formuler un désir de programmation est aussi une manière de réassurer la production interne d’un spectacle ; cela peut redonner un élan nouveau à une jeune compagnie.
P. L. Vous avez mis en place depuis trois ans un dispositif d’accompagnement de compagnies locales et hors de la période estivale. Pourriez-vous nous en parler ?
Le point de départ de ce dispositif, pensé avec notre administratrice et notre chargée de relations avec les publics, était de sortir d’un préjugé : l’idée que nous serions trois parisiens qui ouvriraient un théâtre en Provence trois semaines par an. Nous souhaitions nous disposer à répondre aux besoins prégnants de compagnies au plus proche du territoire dans lequel on a crée ce théâtre. Cela veut dire être à l’écoute, comprendre le parcours des artistes ; et leur dire que ce lieu est disponible pour des ateliers, pour répéter, pour rencontrer des gens, pour faire de l’impromptu — on peut alors faire appel à un vivier de technicien·ne·s. Cela se fait à la carte, il n’y a pas de plan d’accompagnement préétabli. Mais le soutien consiste aussi en une aide à la structuration de compagnie : nous aidons par exemple celles-ci à répondre à des appels de la DRAC ; DRAC qui exige des artistes qu’ils·elles remplissent des dossiers ou s’adossent à des structures locales, mais souvent les compagnies sont désarmées. On mobilise en somme les forces vives du théâtre et nous avons. la volonté de mobiliser un peu d’argent public, notamment par le département et la communauté de communes. Ce projet est complexe à faire résonner, parce que par définition il n’est pas ouvert au public — aucun lever de rideau ne vient le rendre visible. C’est un projet qui se développe sur du temps long et c’est là qu’on se sent utiles socialement. Nous travaillons alors avec les centres sociaux, avec la mission locale.
Propos recueillis par Pierre Lesquelen, 23 juin 2025.