LE BEAU MONDE
conception
ARTHUR AMARD, RÉMI FORTIN ET BLANCHE RIPOCHE
DR
Vu au Cent-Quatre, dans le cadre du Festival Impatience - 12 décembre 2022
“Neiges d’antan et pailles en plastique“
De plus en plus de spectacles (récemment le « Cosmic Drama » de Philippe Quesne) se pensent frontalement ou métaphoriquement comme des explorations futuristes d’un bel espace perdu, autrefois nommé théâtre. Ne s’isolant jamais dans la réflexivité et dans la nostalgie que peuvent induire ces anticipations, Le Beau Monde d’Arthur Amard, Rémi Fortin et Blanche Ripoche est un inventaire fictif et performatif, qui tend à notre boiteux présent un miroir toujours vitalisant. Tous les signes élémentaires d’un théâtre postdramatique y sont : espace à vif, en pleine lumière, présentifié davantage par la salle blanche du Cent-Quatre, occupé par des corps initialement quotidiens, n’attendant qu’à être impulsés et activés par le rituel qui s’annonce (le spectacle demande à être joué dans des espaces non prévus à cet effet). La grammaire performative de cette scénographie sans illusion est pourtant chahutée par quelques détails fabulateurs : des enceintes culbutées (pieds en l’air), des pierres annonciatrices d’un monde en ruine, des touches vestimentaires urbaines aux coutures futuristes. Rudiments post-apocalyptiques dont l’ironique facilité et le potentiel distanciateur servent on ne peut mieux la dramaturgie du Beau Monde qui est un montage, aussi discordant que la grande Mémoire dans laquelle il pioche arbitrairement, de reenactments eux-mêmes très hétérogènes (des « premiers émois » aux « desserts préférés de Zelda », du « théâtre » au « paradis », du « grand Mystère » à la « danse des canards »…).
Autant de rejeux éclair ou parfois plus contemplatifs, comme lorsque se déploie le « paysage dont Raphaël voulait se souvenir », et que les ressacs gagnent l’imaginaire des assemblé.e.s (beaucoup de spectateur.rice.s ferment d’ailleurs les yeux sans qu’on leur demande), rendu.e.s le temps du rituel à une indéfectible nostalgie heureuse. Le Beau Monde donne effectivement raison à Olivier Py lorsqu’il métaphorise le théâtre comme nostalgie du présent, ce rituel initiant un décentrement paradoxal : en prenant le parti-pris des choses théâtrales et sociales qui auraient disparu, c’est à la déliquescence et à la préciosité de ce qui nous lie encore, imperceptiblement, que cette focale futuriste nous fait accéder. La communion hypnotique et jubilatoire qui opère est en grande partie due à la force présentielle, à la vitalité performative toujours préservée par les trois brillant.e.s interprètes de tous ces gestes qui pourraient, dans un processus aussi énumératif que celui-ci, devenir des vignettes figées, des reconstitutions muséales. Et les pierres qui s’éparpillent progressivement dans l’espace de jeu, symboles auxquels chaque fragment attribue une nouvelle parole, sont comme des « pages arrachées d’un livre préhistorique » (cf « Le Sexe des pierres » de David Wahl). Comme des fossiles rendus à la vie qui ne font qu’un avec ces trois acteur.rice.s, garant.e.s de présents éternels, résurrecteur.rice.s d’émotions enfouies, corps de chair et de pierre, conservateur.rice.s, comme dirait Char, « des infinis visages du vivant. »
Pierre Lesquelen, 9 janvier 2023.
* Extrait du texte transmis par la compagnie.
Distribution
Création collective de Rémi Fortin, Blanche Ripoche, Arthur Amard et Simon Gauchet
Sur une idée originale de Rémi Fortin
Interprétation Remi Fortin, Blanche Ripoche & Arthur Amard
Musique Arthur Amard
Regard extérieur et scénographie Simon Gauchet
Régie générale, lumière et plateau Michel Bertrand
Construction du gradin Guénolé Jézequel
Construction des cailloux Elize Ducange