HERVÉ GUIBERT


adaptation et mise en scène


ARNAUD VRECH





© Charles Leplomb

Vu à la Maison Maria Casarès, dans le cadre des journées “Jeunes Pousses”  - 19 septembre 2022 


                                    

“L’illusion de la survie“



L’écriture d’Hervé Guibert est de celles qui gardent leur “calme face à la dissonance“ comme dirait Claude Sautet, de celles qui mêlent la barbarie à la délicatesse, comme l’écrit cette fois l’auteur de À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie. Célèbre autofiction de 1990 qu’adapte Arnaud Vrech.

Aucune dialectique du texte de Guibert n’est effacée par le spectacle. Ni l’indécision maintenue par l’écriture rétrospective entre souvenir amical et règlement de compte. Ni l’intrication d’aphasie et de vitalité qui irrigue cette chronique intimiste du sida. Vrech tord le ficelage tragique de son spectacle (le roman est dramatisé en trois temps) par un protocole incongru qui ouvre chacune des parties, au cours duquel les acteur.rices évaluent la véracité du don que prétend posséder leurs partenaires (être cascadeur…) Dramaturgiquement, ce jeu des talents incroyables vaut pour son ironie tragique, car il résonne avec la promesse formulée plus tard par Bill (“grand manager d'un grand laboratoire pharmaceutique producteur de vaccins“) carillonnant face à Muzil qu’il a le don de lui sauver la vie. Scénographiquement, ces moments au présent ancrent performativement les acteur.rice.s dans un sol blanc qui n’a plus rien d’une surface abstraite ou clinique, mais qui surgit d’emblée comme une page non écrite et bruissante, sur laquelle vibrent les lettres muettes de leurs vies intérieures.

Aucun maniérisme ne vient alors paralyser ce spectacle qui mise sur le déploiement des corps et sur la suspension des voix pour faire entrevoir le vivant qui subsiste face à “l’encombrement d’une agonie.“ Au masque de Muzil, “visage“ qui ne montre jamais “ce qui se trame derrière”, répond le spectacle d’Arnaud Vrech qui densifie les signes immédiats de la chronique (narration scientifique de la maladie, charge contre les institutions médicales et politiques, drame psychologique…) par l’irruption d’une autre scène, celle-là invisible, sur laquelle se joue un phénomène biologique irreprésentable mais surtout le beau drame d’une “jeunesse qui continue“, en sourdine, de “s’aimer“. Le spectacle d’Arnaud Vrech, en préférant la lenteur propice aux possibles à l’efficacité d’une parole adressée et réaliste qui domine actuellement les autofictions théâtralisées, semble lui-même “heureux de marcher comme un vieillard“. Sans doute qu’en se déployant davantage (le temps souvent contraint des premiers spectacles est rarement propice à la pleine affirmation d’un geste), cet Hervé Guibert (dont la pleine singularité dramaturgique efface à nos yeux l’impression d’une connivence esthétique  avec le travail de Christophe Honoré) gagnerait en complexité et en strates de signification. Notamment sur la situation de l’écrivain, dont l’œuvre est perçue comme “l’exorcisme de l’impuissance“, dimension importante du roman passée ici en sourdine au profit de son squelette dramatique. “Donner l’illusion de la survie“ n’est toutefois pas chose facile au théâtre. Et ce don est ici très sincère. 



Pierre Lesquelen, 3 octobre 2022



Distribution

D’après le roman À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie d’Hervé Guibert (Éditions Gallimard)

Adaptation et mise en scène Arnaud Vrech

Jeu Clément Durand, Cecilia Steiner et Johann Weber

Adaptation, dramaturgie Franziska Baur

Lumières, son  Mathieu Barché

Crédit photo Joseph Banderet




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