Hamlet est mort. Gravité zéro
Hamlet est mort. Gravité zéro
mise en scène
Anaëlle Queuille
© Matthieu Baquey
Vu au Théâtre de l’Athénée (salle Christian Bérard) le 17 octobre 2024
“Au prix de Hamlet“
Le théâtre 13 présentait sur le site Glacière le dernier projet lauréat du prix T13 : Hamlet est mort. Gravité zéro, mis en scène par Anaëlle Queille. Le texte est de l’auteur autrichien Ewald Palmetshofer, non publié encore, est donné ici dans une traduction de Laurent Mulheisen.
Quatre ami.es, inséparables dans l’adolescence, se retrouvent à l’occasion de l’enterrement de leur copain commun, tragiquement abattu par son père. Ce sont surtout les vivants qui retiennent l’attention de la pièce. Les quatre se sont séparés en deux couples, l’un plutôt classique – un couple hétérosexuel sur la voie de la réussite – l’autre plus sordide – le frère et la sœur ensemble – d’autant plus glauque que leur vie commune, loin de toute fantasque transgression, stagne dans le creux de la dépression. Les retrouvailles sont grinçantes d’hypocrisie tout juste capable de maquiller les marques de la jalousie et de l’envie. L’univers familial est tout de passion triste, de rancœur pour la vie qu’on mène, et d’une rage impuissante à en sortir. Au fond, la tristesse d’une vie désœuvrée, sans attache à un port d’amour, sans l’éclat d’une extase, sans relation intersubjective pour traverser le temps et en garder un sens qui se déploie. Ces tragédies intimes résonnent en nous. Elles ne sont pas sans évoquer des figures plus ou moins familières. Et cela pourrait amener à congédier une tradition théâtrale exsangue, dont Hamlet serait le héraut, et dont on décrète ici d’emblée la mort ou la péremption.
Mais la réalité de la scène complique le problème. Car le choix de ce texte et les décisions sur le style de jeu rendent difficile pour le spectateur d’éprouver ces problématiques existentielles. L’écriture de Ewald Palmetshofer est répétitive. Elle progresse par sauts de puce, se cherche des images pour faire tenir une signification, le sens d’une existence ou celle d’une impasse dans laquelle on se trouve pris. Par exemple, ce carré des amitiés d’antan qui s’est désaxé, désormais brisé en deux fois deux couples. C’est une écriture répétitive qui nous renvoie aux oreilles un blocage dans l’existence, une mécanique enrayée du sens de ses gestes et ses paroles. Le jeu des acteur.ices – par ailleurs engagé.es avec toute leur énergie dans ce style – rend insupportable à suivre et entendre ce que les personnages traversent, qui est en soi proprement insupportable ou désolant. Et il n’y a là nulle contradiction, mais un principe somme toute classique, peut-être trop, qu’il faut parfois prendre un détour pour faire sentir, voir et toucher ce qui sinon, de façon trop directe, excéderait nos sensations et notre pensée. Hamlet est mort, sans avoir ici transmis sa leçon. Car pour faire sentir à Claudius l’horreur du fratricide et observer sa réaction, Hamlet ouvre sa mise en scène par une pantomime, avant de déployer dans la parole, par un traitement un peu suranné et mièvre, le parallèle avec la situation réelle. On peut y voir une stratégie pour surprendre les défenses de la conscience, pour que l’on se laisse enfin toucher et émouvoir par ce que si quotidiennement on refuse et nie. Dans Hamlet est mort, au détour du récit de la mise à mort de la grand-mère, des confettis tombent du plafond. Cette chute s’est éternisée, les confettis n’en finissant pas de tomber et de tourbillonner, nous laissant méditer sur toutes ces trajectoires imprévisibles. Mais nous laissant, d’une autre manière, également perplexe sur le prix T13 de cette année.
William Fujiwara, 24 octobre 2024.
Distribution
Texte Ewald Palmetshofer
Traduction Laurent Muhleisen
Mise en scène Anaëlle Queuille
Dramaturgie et collaboration artistique Céleste Combes
Avec Fabrice Cals, Caroline Jacquemond, Anaëlle Queuille, Diana Sakalauskaité, Lorenzo Soumer, Valentin Suel