Étude, d’après nature


conception


Ambre Lacroix et Kaspar Tainturier-Fink  





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Vu au Théâtre de l’Athénée (salle Christian Bérard), le 6 février 2025.


                                    



“Ami·e·s déclaré·e·s de l’incertain“




Bien des spectacles actuels traquent le vivant. Soit avec un prisme thématique souvent trop discursif. Soit dans un rapport plus organique qui change le plateau en chambre noire de pistage ; seconde voie qui n’est pas sans verser parfois dans la fétichisation du non-humain, rendant celui-ci moins familier qu'éternellement sacré. Dans Étude, d’après nature, Ambre Lacroix et Kaspar Tainturier-Fink trouvent pour leur part une éthico-esthétique neuve et fructueuse, inventant un théâtre du vivant des plus purs.

Pauline et Ambre, deux pisteuses qui ne se démontrent jamais comme telles, qui ne brandissent jamais un ethos à suivre, énumèrent d’abord quelques invariants de films catastrophes avant d’engager une spectacularité réfractaire aux images prophétiques et frappantes. La majeure partie d’Étude, d’après nature est alors rythmée par la retraversée d’exercices quotidiens de contemplation, qui n’ont rien conservé de l’anthropocentrisme romantique mais qui perpétuent malgré tout l’esprit fondamental du geste hugolien : contempler noblement le paysage, c’est toujours finir par ne plus le voir. La parole n’a ici rien d’une cartographie, d’une ekphrasis, d’une peinture verbale. C’est à des mots noués que nous accédons, qui jamais ne possèdent, à des phrases qui décrivent patiemment, rectifient, balbutient, butent contre la vie complexe d’une aube forestière et relayent l’égarement de regards décillés, radicalement tendus vers une altérité muette. Comme ont pu le rêver Peter Handke ou Robert Walser (d’ailleurs complice littéraire de ces aubes), Kaspar Tainturier-Fink et Ambre Lacroix cherchent au-delà du vivant lui-même un théâtre de la fragile nomination, dans lequel on voit autant de racines que de mots en train d’éclore.

La grande singularité théâtrale de ces descriptions paysagères réside dans le fait qu’elles s’affranchissent audacieusement du paradigme de la suggestivité. Le·a spectateur·rice n’est pas sollicité comme récepteur·rice second des choses vibrantes ; il·elle n’est pas censé éprouver les paysages par procuration, par la magie transmissive des mots-images. De fait, l’ambition de Lacroix et Tainturier-Fink n’est pas de faire entrer la forêt dans la boîte noire. Celle-ci demeure incommensurable avec l’humain comme avec le théâtre, lui qui s’est archaïquement érigé comme étude d’après nature, mais auquel on refusera cette fois son prétentieux désir de vasteté – ici les toiles peintes joueront davantage comme matières vibrantes que comme images.

Nous observerons alors, tout au plus, comment le souvenir des paysages peut encore troubler, sans emphase ni extériorisation, deux corps en présence. Deux actrices qui n’adressent rien, qui paraissent avoir glaner le vivant par bribes, par impressions, par hypothèses et qui, riches de ce mystère encore épais pour elles-mêmes, nous incitent seulement à cohabiter indécidablement avec leurs présences, comme elles-même ont cohabité avec les paysages. Le choix du message téléphonique comme matériau dramaturgique et comme support scénique est à cet égard opérant : ce choix signale autant le refus d’une mise en présence du vivant qu’il nourrit la nostalgie des acteur·rice·s comme des spectateur·rice·s pour son absence. Et si les aubes vécues finissent quand même par impressionner la rétine des assemblé·e·s, après cette acclimatation patiente à un théâtre qui met entre la nature et lui une constante virgule, rappelant sans cesse qu’il n’est que d’après, c’est par un désir acharné de vaincre la coupure, l’écart, la distance que le médium s’impose face au réel qui le travaille. Car le théâtre, on le sait bien, n’est jamais aussi vivant que lorsqu’il retient et diffère avec humilité la vie infinie qui le galvanise.




Pierre Lesquelen, 11 avril 2025.



Conception Ambre Lacroix & Kaspar Tainturier-Fink

Avec Pauline Haudepin & Ambre Lacroix

Musique et scénographie Kaspar Tainturier-Fink

Lumières Adèle Draussin-Vignal

Son Julie Blanc

Régie générale et plateau Vincent Noël

Compagnie une bonne masse solaire

Administration de production Julie Blanc



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