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Le Conte d’hiver


texte William Shakespeare


mise en scène


Agathe Mazouin et Guillaume Morel






© Christophe Raynaud de Lage


Vu au Théâtre 13 (Paris) le 29 septembre 2025.


                                    



“Moins de machos, plus de matcha



Au théâtre 13, on pouvait entendre en ce début d'automne la furie et la farce d'un conte d'hiver mis en scène par Agathe Mazouin et Guillaume Morel, et porté sur scène par les merveilleux·ses acteurices de la compagnie Quand il fera nuit.

Entre leurs mains, leur paroles et leurs corps, le texte de Shakespeare s'anime en un kaléidoscope de la violence, de la fureur et de la ruse – et prend toute son ampleur par les contrepoints qui se tissent entre des intensités diamétralement opposées. Mais celles-ci ne sont pas neutres. À la source de ce chaos, il y a la fureur jalouse aveugle et incompréhensible d'un roi, qui emportera la reine et leur fils. Elle est interprétée magistralement par Mathias Zakhar, dont la verve poétique donne forme, rythme et vie à l'enchaînement des images par lesquelles Shakespeare rend la profusion et le déchaînement du mal qui fait irruption.

La fureur s'atteste autant dans la parole furieuse que dans ses effets sur son auditoire, sur les corps paralysés de frayeur et de stupeur par l'irruption d'une violence indomptable qui s'acharne sur la victime la plus innocente. Face à l'exercice de sa souveraineté, ses hommes sont impuissants à le raisonner et à s'opposer à des prises de décision iniques. La reine endure la calomnie. Seule Paulina, dame d'honneur de la reine, parviendra à ébranler, bien qu'en vain, la certitude dévastatrice du roi. La première partie de la pièce culmine dans leur tête-à-tête, dont les scènes précédentes ont méticuleusement dressé la toile de fond des rapports de force dans leur dimension genrée. Pour Paulina, c'est à son mari qu'il revient de la contenir et de la réprimer. L'exercice de la menace et de la violence se distribue entre les rôles et les relations. Mais Paulina trouve une interstice, une faille pour porter son opposition directement jusqu'au roi. A Mathias Zakhar répond admirablement Myriam Fichter, dont l'interprétation de Paulina déplie tout un art de l'opposition à la tyrannie portée par cette figure : ébranler par la parole les récits mensongers distordant la réalité, désarçonner les certitudes d'une conscience perdue dans sa paranoia, fouetter au passage les compromissions de la garde rapprochée en rappelant leur responsabilité, et surtout faire entendre l'injustice et la justice au cœur de l'injustice.

Seize années plus tard, la deuxième partie de la pièce poursuit dans l'oubli de cet événement fondateur, qui a éloigné de Sicile la dernière rescapée de la famille royale, abandonnée sur une île et sauvée de la mort par un berger de Bohême. Dans l'ordinaire des vies vouées à l'amour et au travail, ordinaire toutefois heurté par l'inégalité que recèle toujours le sang royal parmi le peuple, la vie en excès trouve ici sa figure à l'autre extrémité du spectre social. C'est un pauvre hère, habile bateleur et escroc, interprété avec la nervosité et la vivacité de Julie Tedesco, qui dresse une autre figure de l'action humaine, avant que la narration de la famille royale ne reprenne son cours, et ne referme le chapitre des bricolages et expédients qu'hommes et femmes inventent pour s'en sortir. Cette reprise est davantage un suspens, comme l'ont judicieusement choisi Agathe Mazouin et Guillaume Morel, pour laisser ouverte cette méditation, pleine d'écho, sur la fureur des grands d'un monde, historique ou intime, son déchaînement, les réactions et résistances possibles, les vies qui se poursuivent, à l'ombre amoureuse ou facétieuse d'une fête, et le sort qu'il reste à faire à ces tyrans déchus.




William Fujiwara,  13 octobre 2025. 



Texte William Shakespeare
Traduction Bernard-Marie Koltès

Mise en scène Agathe Mazouin et Guillaume Morel

Avec Louis Battistelli, Myriam Fichter, Joaquim Fossi, Mathias Zakhar, Mohamed Guerbi, Tom Menanteau en alternance avec Léo Zagagnoni, Olenka Ilunga, Eva Lallier Juan, Julie Tedesco, Zoé Van Herck, Padrig Vion, Neil-Adam Mohammedi

Scénographie Andréa Baglione

Lumière Lucien Vallé

Son John Kaced

Costumes Lucie Duranteau

Vidéo Camille Berthelot

Régie générale Nina Coulais

Administration et diffusion Flora Courouge





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