Fête des mères

conception


Adèle Royné





© DR


Vu au Théâtre des Doms dans le cadre du Festival OFF d’Avignon, le 3 juillet 2024

                                    



“Vi(o)laine“


Les boulevards parodiés ou pulvérisés fourmillent ces dernières années dans le jeune paysage créatif. Pousser à bout la vieille comédie bourgeoise s’avère souvent peu productif – il est rare que du rire neuf et des représentations nouvelles émanent de l’effilochage amusé des cordages comiques. Avec Fête des mères, Adèle Royné délaisse pour sa part le méta-boulevard et se risque à une pure comédie contemporaine. Régénérante tentative.

L’humour appliqué et usité de Louise (jouée par Adèle Royné elle-même), mathématicienne reconvertie, célibataire par choix, lassée des blagues sur Gilbert Montagné, ancre la représentation dans l’antithèse de ce qu’elle va être. C’est dans la fange de vieilles vannes sur l’extinction des téléphones portables que s’élève ensuite une tragi-comédie familiale, bâtie sur les cendres fumantes du film franchouillard (du Dîner de cons à Un air de famille), mais dans laquelle tout fait mouche parce que tout est dramaturgiquement, sans en avoir l’air, un peu à l’écart. À l’écart d’abord de clichés genrés sur la filiation. C’est ici le benjamin Ziggy – nommé d’après Bowie –, brillant Tanguy vivant encore chez maman, qui semble être le plus connecté à la vie de bâton de chaise de Violaine ; là où Louise, qui n’a que le mot “pute“ à la bouche pour désigner sa génitrice (rimant pour elle avec une “gêne” inguérissable) se blinde contre le lien et l’amour.

À l’écart ensuite d’une évocation essentialisante de la Mère – qui perd ici sa majuscule modèle et métaphysique, et redevient par cette représentation en creux un individu sans attache. Car l’absence de Violaine dans le spectacle fait d’elle un fantôme en mouvement dans notre imaginaire. Les discours elliptiques et dialectiques tenus sur elle nous préservent de tout portrait définitif ; c’est dans la relativité, la mauvaise foi, la culpabilisation ou l’amour rentré des paroles de Gabriel, Louise et Ziggy que celle-ci transparaît dans toute sa complexité. Et c’est moins à une vérité de la femme manquante qu’Adèle Royné veut nous faire accéder qu’à la pure fiction que ses enfants écrivent d’elle.

Et c’est là que demeure la contemporanéité possible du boulevard. Le comique n’induit plus ici une mécanisation des liens et une systématisation de l’écosystème familial. En grossissant les caractères et en exagérant parfois les dissensus, il fait vivre une pluralité dynamique de rapports à la mère ; la décomplexion du boulevard empêche la mythologisation et déconstruit toute figuration fantasmatique. C’est aussi en accentuant la diversité des destins (celle de “tonton Zizi, tata pute et papa pédé”) qu’Adèle Royné éradique l’imaginaire même du matriciel. Mère hors cadre, hors théâtre, hors langage, Violaine apparaît autant dans sa négativité mal digérée que dans la positivité des voies et des vies non conformées qu’elle a provoquées. La comédie de Louise est donc le contraire d’un sketch à charge. Elle ne fait pas sa fête à la mère. Elle met la vilaine Violaine, par-delà toute rancœur, bel et bien à la fête.



Pierre Lesquelen, 6 juillet 2024.
    


Distribution 

Un spectacle d’Adèle Royné

Texte Vincent Gardet et Adèle Royné

Avec Aubin Hernandez, Florence Janas, Cyril Metzger, Adrien Rouyard et Adèle Royné

Collaboration artistique Guillaume Vincent

Lumières César Godefroy

Chant Jeanne-Sarah Deledicq        










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