Titre du spectacle
conception
Jeanne Bodelet, Nina Brun et Ambre Munié Louisor
(À mes joies brèves)

© Lucy-Lou AgardVu au Théâtre Bernard-Marie Koltès (Université de Nanterre) dans le cadre de Nanterre sur scène le 28 novembre 2025.
“Le spectacle va sortir“
« Qui voudrait le voir, cette horreur qui va sortir ? » hurle Jane à la fin de cette « tragédie en trois actes » qui n’en comporte finalement qu’un seul. À savoir un violent accouchement – celui d’un premier geste artistique volontiers difforme, intranquille et irréductible. Rarement le premier spectacle d’une compagnie (À mes joies brèves) n’aura été le manifeste aussi littéral et viscéral d’un furieux désir de théâtre exercé sans contraintes.
Les carrés de gaffeur fluo qui strient le plateau imposent des conventions dystopiques, ludiques et tyranniques aux deux gameuses. Mais de cette scène devenue « zone de sécurité », nous ne connaitrons jamais les lois — et ce parce que Ambre et Jeanne les ignorent elles-mêmes, et jouent le plus souvent hors des marquages. Alors, le spectacle tout autant chimérique que performatif de Jeanne Bodelet, Nina Brun et Ambre Munié Louisor est tout entier tendu comme un titre à trouver, comme un acte à la fois potentiel et déjà là. Car celui-ci joue d’allers-retours frénétiques entre un antique programme – celui d’une pièce tripartite, sorte de womance victorienne exposant l’histoire tragique Jane et Abby – et la situation présente du processus théâtral, où la difficulté à organiser un système (d’enjeux dramatiques, de personnages…) semble être autant vécue comme un drame que comme une jouissance pleinement satisfaite.
Titre du spectacle sonne en effet comme un pied de nez aussi débile que subtile aux injonctions institutionnelles qui pèsent sur l’art émergent : celle de faire passer la thématique avant l’esthétique, celle de donner un titre à une œuvre avant même d’avoir entraperçu son visage, celle de réfléchir à la valeur sociale de son art avant d’écouter son désir – celle de faire du spectacle, en somme. Si quelques private jokes viennent çà et là anecdotiser et infantiliser le symbole, si le drame amoureux de Abby et Jane peut manquer de vibration et paraître plus cité qu’éprouvé, le grand jeu irrévérencieux qu’est Titre du spectacle l’emporte parce qu’il ne s’excuse jamais de jouer. Et parce que ses zones encore artificielles participent à ce qu’il incarne : une difficulté à faire cogner le réel dans un premier spectacle, une impossibilité d’être alors complètement contemporain·e à soi-même. Voilà pourquoi cet amour lesbien paraît autant nécessaire que littéraire, et pourquoi Titre du spectacle met beaucoup de masques sans complètement se trouver. Et bien qu’il soit un résolu préambule, le geste accouche déjà d’un théâtre fortement « anti-thème » – comme le rêvait récemment Carolina Bianchi– dont on a hâte de vivre les prochains titres.
Pierre Lesquelen, 2 décembre 2025.
Mise en scène Jeanne Bodelet, Nina Brun et Ambre Munié Louisor
Texte Ambre Munié Louisor
Avec Ambre Munié Louisor et Jeanne Bodelet
Création musicale Maxence Vandevelde
Création lumière Quentin Salvant
Aide à la dramaturgie Nina Brun
